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les voyages d'ufu

Posted on 16/03/2019 par ufu

Point de situation Caracas vendredi 15 mars 2019 J+8 depuis le black-out

J’ai reçu ce message sur whatsapp aujourd’hui (je laisse les noms et les lieux en blanc) : « Bonjour François, je m’appelle W. Je vous écris de la part de X. Je suis journaliste chez Y, une agence de production française indépendante basée à Z. Je vous écris parce que je prépare un reportage sur le Vénézuela. On voudrait partir dans trois semaines environ pour réaliser un reportage pour l’émission 66 minutes sur M6, sur les derniers français sur place. L’idée est de voir leur quotidien. Le quotidien d’un(e) français(e) sur place. Comment fait-on ses courses, comment se déplace-t-on, quels loisirs reste-t-il? Est-ce-que vous auriez 5 minutes pour qu’on discute par téléphone? »
X est un ami français qui vit ici depuis de très nombreuses années, il ne veux pas du tout passer à la télé. Il a eu l’idée, je ne sais pas trop pourquoi, de donner mon contact à cette personne.
Vu le niveau des questions, leur « angle », je vous encourage à regarder le sujet quand il passera sur M6, ça risque d’être bien instructif encore… « Comment fait-on ses courses? »… On fait pas de courses a Caracas, on se bat au couteau autour de tas d’ordures et on boit l’eau des égouts. Bref, je lui ai dit poliment que j’étais ici de passage, non résident.

Trève de plaisanterie.

1/ L’electricité n’a plus sauté depuis dimanche après-midi dans le centre-ville. Retour à peu près stabilisé de l’eau dans le centre-ville depuis hier jeudi en fin d’après-midi (après 3 jours de coupure, suivi d’une reprise partielle pendant 24h, avant de s’effondrer totalement pendant deux jours malgré la présence d’électricité). Je précise centre-ville, car une amie qui vit en périphérie, dans un barrio populaire, m’a dit aujourd’hui que le courant et l’eau n’était revenus là-bas que depuis mardi (soit deux jours après le centre, donc aprés cinq jours de black-out), et l’eau seulement sur des périodes extrêmement courtes, 15 minutes une fois par jour, jusqu’à hier soir où le service à repris normalement (c’est-à-dire plutôt mal), avec les habituels délestages du quotidien… le rythme d’avant « el gran apagon », comme elle dit : « la grande coupure ». Ailleurs dans la ville il y a encore de très grands complexes d’habitation, des tours et immeubles immenses, (urbanizaciones) où l’eau ne coule pas, ou manque de pression pour atteindre les étages supérieurs. Dans l’ouest du pays, la situation a dégénérée par endroit, notamment à Maracaibo, deuxième ville du pays. C’est toujours cette affaire d’organisation du réseau électrique, principalement basée sur une source unique, la centrale hydroélectrique de Guri, produisant 80% du courant du pays, transitant par ces autoroutes électriques démentielles. Guri se trouve tout à l’est, Caracas sur la côte au centre, Maracaibo et San Cristobal (une grande ville dans la région des Andes, au Sud-Ouest près de la frontière colombienne) se situent donc tout en fin de réseau. Une fois dépassé Caracas il ne reste plus grand chose. Ajoutez à cela la chaleur, réputée terrible à Maracaibo, et après cinq jours de régime sec, les gens ont pété les plombs et se sont livrés à des pillages. Au niveau du pays la situation n’est pas encore totalement rétablie.
Une amie architecte réagissant à mon dernier compte-rendu m’a écrit: « Ensuite du point de vue de l’aménagement du territoire ça me conforte dans mon approche du moment : la résilience est possible en travaillant sur du diffus, elle ne l’est pas en construisant les éléphants blancs de la période moderne. Laisser reposer presque l’ensemble du pays sur une seule centrale fallait quand même être optimiste ».
Un ami vivant ici, un autre expatrié, industriel qui a construit et dirigé une usine d’aluminium dans les années 1980 et jusqu’au début des années 2000, connait très bien le réseau électrique et la centrale de Guri, qu’il a visité a plusieurs reprises quand il négociait l’électricité dont il avait besoin pour alimenter son usine (les fours pour produire de l’aluminium sont de très gros consommateurs d’énergie électrique). Il pense que le problème n’est pas réglé, qu’ils n’ont pas assez de jus pour faire tourner tous les gros systèmes, que notamment le réseau de pompes qui remontent l’eau jusqu’à Caracas est lui aussi extrêmement gourmand en énergie. Mais tout cela n’est que suppositions. Le gouvernement, occupé à communiquer sur la « guerra electrica » et la « victoria », reste muet sur l’état du réseau et des turbines de Guri. En fait, hors des cercles autorisés, personne ne sait rien, et rien de tel que de faire beaucoup de bruit pour couvrir le silence, donc tout le monde affirme tout et son contraire, pour changer…

2/ Le métro de Caracas fonctionne normalement (c’est à dire plutôt mal) depuis hier, après 6 jours d’interruption.

3/ Les banques ont partiellement réouvertes jeudi, de très longues files d’attente se sont formées devant les agences ouvertes, celles qui avaient du cash à distribuer, aux guichets ou aux distributeurs, tandis que les autres ont gardé portes closes. Dans mon secteur, au pifomètre, pas plus de 30% d’agences ouvertes. Hier après-midi, j’ai demandé à un groupe qui faisait la queue devant une banque combien ils pourraient retirer ? « 500 bolivar » m’ont-ils répondu, c’est à dire vraiment pas grand chose, et néanmoins toute la matinée il y avait eu 50 mètres de queue le long du trottoir pour retirer ce pas grand chose. J’ai fait quelques relevés de prix à farmatodo ce soir : un tube de dentifrice Colgate: 4400 bolivar / 4 rouleaux de PQ: 9500 bolivar / un gel douche: 10500 bolivar / un paquet de 30 couches culottes: 52000 bolivar. Le salaire minimum est actuellement fixé à 18000 bolivar. 1$ vaut (ce soir, ces chiffres sont vite caducs) 3300Bs au cours officiel, 3500Bs au cours parallèle. Mon amie m’a expliqué qu’en réalité beaucoup de personnes touchent bien moins que le minimum officiel… 10000, voir 5000 Bs par mois. Invivable. Le gouvernement compense en distribuant des cartons d’aide alimentaire (les fameux CLAP qui enragent littérallement les opposants… « clientélisme », s’emportent-ils). Le système fonctionne pourtant bien, et évite que le pays ne sombre dans l’urgence alimentaire. Dans le cas de cette amie, elle le dit clairement, sans le CLAP sa famille ne pourrait pas se nourrir.

4/ Toutes les boutiques, administrations, ont réouvertes hier, après 6 jours de fermeture.

5/ Les puntos (machine de paiement par carte) fonctionnent tous. Indispensable dans un pays asséché d’argent liquide, au point que même les vendeurs de rue sont en possession d’un punto relié au réseau bancaire via leur téléphone. Ceux qui n’en ont pas font généralement affaire avec la boutique devant laquelle ils sont installés, afin que leurs clients puissent régler au punto de celle-ci.

6/ Les réseaux 4G sont stables et performants, néanmoins les systèmes de paiment pour recharger fonctionnent mal, par intermittence. J’ai encore du mal à trouver du crédit data, dépend encore de réseaux wifi assez instables.

7/ Les écoles sont restées fermées aujourd’hui pour la sixième journée consécutive. Elles devraient ouvrir lundi.

8/ Les acheteurs de devises du boulevard se sont un peu calmés, car les gens ont moins besoin de faire appel à leurs services depuis la réouverture partielle des banques. Par ailleurs, la stratégie du gouvernement consistant à assécher le marché noir semble pour le moment être efficace. J’y reviendrai plus tard.

9/ Des tonnes et des tonnes de nourriture avariée, pourrissant dans des frigos éteints, a dû être jeter.

10/ Des manifestations sont prévues samedi, comme d’habitude celles de l’opposition dans les quartiers chics à l’est de la ville (ceci ne veut pas dire que seuls les bourgeois privilégiés soutiennent l’opposition), et celle du gouvernement dans le centre-ouest de la ville, en direction du palais présidentiel. Notez que les médias de l’Empire ne montrent jamais d’images des manifestations du gouvernement, qui rassemblent pourtant elles aussi beaucoup de monde… Plus? Moins? Comment savoir ? Vous avez déjà essayé de dénombrer une foule en mouvement?

11/ Hier, avec la reprise du métro, la réouverture des magasins et des banques, les badauds ont afflué comme rarement sur le Bulevar Sabana Grande, la grande artère piétonne de Caracas, ainsi qu’au centre commercial El Recreo. Mangeant des glaces au McDo, sirotant un café, buvant des bières au Capricho, faisant la queue au cinéma (pour voir les même bétises décérébrantes qui passent sans doute en ce moment près de chez vous), armés de sceaux de popcorn et de grands verres en carton remplis de Pepsi-Cola et de glaçons. Pas autant d’affluence qu’il y a deux semaines pendant le long week-end férié du carnaval, mais c’était d’autant plus impressionant, hier, que cela faisait suite au grand silence des jours passés. Le carnaval, c’est une grande fête familiale qui dure quatre jours (le lundi et le mardi sont fériés), les enfants déguisés dans les rues, des files d’attentes hallucinantes devant les glaciers du boulevard (j’ai compté pendant le carnaval, toujours au pifomètre, jusqu’à plus de 100 mètres de queue devant La Poma, le glacier le plus réputé du coin). Me promenant hier au milieu de toute cette foule, je me suis senti emporté par un sentiment vertigineux, un lourd décalage. Me remémorant les jours derniers, les images des mêmes endroits maintenant pleins de vie se superposèrent dans ma tête… mais complètement vides et silencieux et comme abandonnés durant ces trois interminables journées. La vitesse à laquelle tout peut dégénerer, une ville devenir un piège, et la fragilité de tout ça, de tout ce que nous avons construit.

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